La Galerie Vivienne, une restauration contestée
La restauration du segment nord de la Galerie Vivienne a eu lieu pendant le printemps et l’été 2016. Les options des intervenants ont donné lieu à des polémiques intéressantes. Il est vrai que des choix malheureux de matériaux ont été faits. Ces discussions vives sont une occasion de voir que les décisions en matière de restauration du patrimoine ne sont jamais simples. Les tons choisis pour peindre les murs sont très probablement erronés : ils oscillent entre le vert et le bleu alors que les couleurs d’origines étaient des ocres. Ce sont ces détails qui font l’histoire d’un lieu. Ils montrent à quel point il est important qu’une restauration soit sérieusement documentée avant d’être entreprise.
La galerie Vivienne est classée à l’Inventaire supplémentaire de monuments historiques depuis le 7 juillet 1974, et la législation sur les monuments historiques ne permet pas la fantaisie. Il est heureux que le patrimoine classé soit surveillé et que les travaux soient contrôlés. C’est la DRAC (Direction régionale des Affaires culturelles) qui a en charge cette surveillance. Dans le cas de la restauration de la galerie Vivienne, certains mettent en doute le sérieux du suivi. Laissons là la polémique sur les personnes.
Interpréter, actualiser ou trahir la galerie Vivienne ?
Parmi les erreurs, on reproche à l’architecte d’avoir reconstitué la verrière avec un verre inadapté. Il est exact que ce verre tout-à-fait transparent ne correspond pas du tout aux vitrages du XIXe siècle qui filtraient la lumière et ne permettaient pas de voir distinctement les immeubles situés au-dessus du passage. Négligence ou trahison ? On ne saurait ici juger cette cause. Songeons seulement au passage du Havre : créé en 1846 il est devenu tout autre chose aujourd’hui, c’est un centre commercial assez banal, dans lequel on ne reconnaît aucun élément d’origine. Il n’y a que l’emplacement et le nom qui soient restés les mêmes. Dans la galerie Vivienne, le changement n’est pas du même ordre : les formes sont conservées, mais certains matériaux, les couleurs et la transparence du verre sont nouveaux. En somme, on a créé un habillage qui n’est plus à la mode de 1826. Jusqu’à quel point peut-on reprocher à un lieu de commerce de ne plus être exactement ce qu’il était il y a 190 ans ? Quand on installait l’éclairage au gaz dans les passages couverts on voulait être à la pointe de la technologie, comme presque tout commerçant. L’arrivée du gaz au passage des Panoramas en 1816 a surtout permis d’éclairer une galerie très sombre parce qu’alors… sans verrière. Il n’y avait en effet qu’une toiture percée de lucarnes. Qui voudrait rétablir aujourd’hui cette couverture opaque au nom de l’authenticité ?
Le verre du XIXe siècle était-il moins transparent parce qu’on voulait créer une ambiance ou parce que la technique ne permettait pas encore un verre presque invisible ? La littérature pourrait ici avertir le restaurateur. C’est elle qui raconte les ambiances et qui donne une identité à un lieu qui sans elle resterait peut-être inaperçu.
Les dilemmes de la restauration
On se rapproche ici des questions soulevées en son temps par Viollet-le-Duc sur les intentions des constructeurs du Moyen-Âge, et on voit que tout choix de restauration – même celui de reproduire à l’identique – est une interprétation.
Quant aux couleurs appliquées lors de l’été 2016, faut-il renoncer à un nouvel effet composé avec un décor ancien et une couleur plus adaptée aux attentes des yeux du XXIe siècle ? On voudrait les deux : l’objet authentique dans un souci historique scientifique, et l’objet revu, réinterprété. On goûte fort aujourd’hui les grands classiques du théâtre joués dans des décors ou avec des costumes inattendus. Les opposants s’offusquent d’une interprétation qui n’est que d’un moment, le texte reste et il sera donné autrement à la saison prochaine. Mais la galerie Vivienne ne changera pas de peau avant plusieurs décennies, l’architecture n’est pas malléable comme un texte. On ne se souviendra de l’échec d’une mise en scène que si elle a été enregistrée, l’échec d’une restauration est en permanence sous nos yeux.
Et pourtant, en regrettant les choix erronés à la galerie Vivienne, dénonce-t-on un mauvais travail ou craint-on l’effacement d’un lieu qui satisfaisait notre désir de permanence ? Les lois sur la protection du patrimoine sont les seules qui nous protègent de la fuite du temps, et c’est un grand mérite. Mais chaque monument est unique et ses restaurateurs ne peuvent faire l’économie d’un engagement personnel et réfléchi dans leurs choix.
Bref, même si des erreurs ont été commises par ignorance, la restauration de la galerie Vivienne met au jour les dilemmes de la restauration et nous invite, nous spectateurs, à songer à ce que nous attendons du patrimoine.
Voir une photographie de la galerie Vivienne en 1904 par Ferdinand Roux (Musée Carnavalet).
Un autre cas de choix patrimonial : l’hôtel de Mayenne
La galerie Vivienne est visible lors de la visite Les passages couverts, un labyrinthe historique.