En 1934, Jean Ginsberg (1905-1983) et son associé François Heep (1902-1978) livrent ici un immeuble d’habitation qui manifeste leur capacité à s’approprier le modernisme tout en jouant avec les formes conventionnelles de l’architecture. Originaire de Pologne, Jean Ginsberg est l’élève de Mallet-Stevens à l’École spéciale d’architecture à partir de 1924. Après avoir travaillé quelques temps chez Le Corbusier puis chez André Lurçat, il ouvre sa propre agence en 1930. François Heep, formé à Francfort avant d’intégrer l’École spéciale d’architecture lui aussi, devient son associé jusqu’en 1939.
Courbes et contre-courbes
La rotonde d’angle est une reprise de celle de l’immeuble post-haussmannien qui domine les carrefours parisiens à la fin du XIXe et au début du XXe siècles. Mais le modèle de la rotonde est ici simplifié à l’extrême : elle s’impose comme une portion de cylindre alternant lignes horizontales de pierre et de verre. Elle est allégée par le rez-de-chaussée en retrait qui forme l’entrée. Ici l’architecte joue de la courbe et de la contre-courbe que le style rocaille avait exploité au XVIIIe siècle. La paroi concave jouxtant la porte vient contredire la forme convexe de la rotonde rappelée ici par le pavement de marbre noir. C’est par ce même jeu que s’articulent la rotonde et les plans des façades sur l’avenue de Versailles et sur la rue des Pâtures. Du côté de la rue, la façade arbore des fenêtres horizontales corbuséennes, mais elle se termine par une légère courbure qui accentue l’angle saillant tout en dévoilant les surfaces largement vitrées des petites loggias et l’angle rentrant qui jouxte la rotonde. La courbure de ce mur, bien qu’à peine perceptible, donne sa dynamique à ce jeu de formes. Le plan courbe se retrouve sur une surface plus petite dans le couronnement de la façade donnant sur l’avenue de Versailles.
Les balcons filants caractérisent la façade sur l’avenue, les garde-corps de verre, sans doute trop fragiles, ont été remplacés par des grilles. ici, Ginsberg et Heep disposent des balcons qu’ils reprendront quelques années plus tard en façade d’un immeuble voisin, rue des Pâtures.
Finesse formelle et habileté technique
Par souci esthétique, les architectes ont dissimulé dans des placards les circulation d’eau, d’électricité et de gaz. Même les compteurs sont pour la première fois logés dans des placards sur les paliers et non plus à l’intérieur des appartements. La tôle emboutie a été largement employée dans cet immeuble : pour les huisseries comme pour les placards et certains éléments des cuisines.
L’escalier de service a disparu, remplacé par un ascenseur jouant aussi le rôle de monte-meuble. L’escalier qui part du vestibule adopte une élégante forme sinueuse. Quatre appartements occupent chacun des sept premiers étages. Le huitième et le neuvième sont traités en duplex : côté avenue, il s’agit d’un véritable hôtel particulier posé sur l’immeuble. Pour ces deux derniers étages, la plastique complexifie jusqu’au raffinement la géométrie qui commande tout l’immeuble.
Le 42, avenue de Versailles est visible lors de la visite consacrée à Le Corbusier et aux modernes.
Pour en savoir plus sur Ginsberg et Heep et le 42, avenue de Versailles
- Philippe Dehan, Jean Ginsberg, la naissance du logement moderne, Éd. du Patrimoine, Centre des monuments nationaux, (coll. Carnets d’architectes), 2019.
- Claude Mignot, Grammaire des immeubles parisiens, Parigramme, 2009, p. 180.
- Simon Texier, Grammaire de l’architecture, XXe-XXIe siècles, Parigramme, 2007, pp. 114 et 117.
- Antony Goissaud, « Un Immeuble moderne à appartements 42, avenue de Versailles et rue des Pâtures à Paris », La Construction moderne, n° 30, 28 avril 1935, p. 658-666. Disponible en ligne sur le site de la bibliothèque de la Cité de l’architecture.
- « Immeuble à Paris, avenue de Versailles, Jean Ginsberg et François Heep, architectes », L’Architecture d’aujourd’hui, n° 8, novembre 1934, p. 35-54. Disponible en ligne sur le site de la bibliothèque de la Cité de l’architecture.
- J. Cotereau, « Immeuble à appartements – 42, avenue de Versailles. Architectes : Jean Ginsberg et François Heep », La Technique des travaux, n° 1, janvier 1932, p. 2-12. Disponible en ligne sur le site de la bibliothèque de la Cité de l’architecture.