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Le Front de Seine est une étape majeure de la rénovation urbaine à Paris décidée par les pouvoirs publics à la fin des années 1950. L’essentiel de l’opération est la construction d’une dalle de plus de 12 hectares renfermant parkings et services et surplombée par dix-huit tours dans lesquelles habitent environ 6000 personnes. Souvent décrié, le Front de Seine comporte pourtant des partis de construction audacieux et des architectures soignées.

L’origine et les principes de l’opération

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Tour Reflets, architecte Henry Bernard, 1977

Raymond Lopez (1904-1966), l’un des concepteurs de l’opération, estime qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale un cinquième de Paris est « mal construit ». Ce constat s’ajoute à la volonté des pouvoirs publics de désindustrialiser Paris. Ainsi, dans le XVe arrondissement, une longue partie du bord de Seine se trouve libérée et disponible pour une nouvelle construction assez utopiste. L’un des concepteurs, Michel Holley (1924-2022) parle d’ un « urbanisme vertical » à propos de la séparation en hauteur de l’habitation, du stationnement, de la circulation et des équipements.

Siège de la SEMAE XV, architectes J.-C. Jallat et M. Péron avec Jean Prouvé, 1973

Les architectes Raymond Lopez et Henry Pottier (1912-2000) définissent le projet à partir de 1959 avec l’aide de Michel Holley. À la mort de Lopez, en 1966, Henry Pottier devient architecte en chef de l’opération; il est associé à Michel Proux. Ils signent ensemble plusieurs tours, parmi lesquelles Evasion 2000 et la tour de Seine. En 1960 la SEMAE XV, dont la ville de Paris est actionnaire majoritaire, est créée. Elle assure la maîtrise d’ouvrage, elle est propriétaire de la dalle et de certains bâtiments bas. La SEMAE XV (devenue SEM PariSeine en 2007) est installée sur la dalle dans un bâtiment de trois niveaux dont l’esthétique témoigne de l’enthousiasme de ceux qui ont eu la responsabilité de ce vaste projet. Ce bâtiment rend hommage au Mouvement moderne par la libération du sol. C’est Jean Prouvé qui construit la façade carrossée très finement dessinée. Une rénovation de ce bâtiment est entreprise en 2022 afin, notamment, de faire disparaître les effets de malheureuses interventions des années 1990.

Des tours ambitieuses

Les promoteurs des tours d’habitation ont parfois refusé la hardiesse des projets des architectes. Pourtant, chaque tour a son esthétique propre, souvent très recherchée. Le parallélépipède est constamment bousculé par des failles, des ressauts, des plis. Le béton est toujours en dialogue avec des matériaux raffinés comme la pâte de verre. Le grain du béton contraste parfois avec la polychromie des allèges, comme sur la tour de Seine. Le verre donne à toutes les tours une mobilité par les reflets changeants de la lumière du jour.

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Détails de la tour de Seine, architectes M. Proux et H. Pottier, 1970
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Certaines tours arborent la répétition du même motif, comme l’ancien hôtel Nikko fait d’alvéoles rouges abritant des fenêtres aux angles arrondis à la manière des écrans de télévision de l’époque, ou Espace 2000 dont les façades s’animent d’une grille de ciment taillée en pointe de diamant accrochant la lumière.

Novotel, ancien hôtel Nikko, architectes J.-C. Le Bail et J. Penven, 1976
Espace 2000, architectes J. Delaage et F. Tasropoulos, 1976
Tour Totem, architectes M. Andrault et P. Parat, 1979

Les architectes les plus téméraires sont sans doute Michel Andrault et Pierre Parat qui livrent en 1979 la tour Totem. Quarante-deux blocs de trois étages s’accrochent à un gigantesque pilier central en béton. La plupart des appartements bénéficient ainsi de vues multiples. La SEMAE XV jugeant que l’architecture des tours déjà construites était trop timorée, a sélectionné elle-même les architectes de ce projet. Avant-dernière tour construite sur le site, Totem apporte une personnalité en reflétant les tours voisines et en se reflétant en elles. En effet, au Front de Seine les effets de miroir sont beaucoup plus travaillés que dans d’autres aménagements contemporains comme la Défense.

L’urbanisme sur dalle

Depuis les années 1900, les théories sur la séparation des circulations se développent. Les véhicules ne doivent pas cohabiter avec les piétons. Au lieu d’enterrer les adductions d’eau, de gaz ou d’électricité, le bon sens préconise de les installer le plus possible au niveau du sol naturel afin de les rendre accessibles et de permettre la construction d’un espace entièrement piétonnier au-dessus. C’est cette théorie qui est mise en œuvre au Front de Seine. Les parcs de stationnement, privés ou publics son sous la dalle; les rues recouvertes ne doivent plus être que des rues de desserte, elles ne donnent accès qu’aux entrées de service, aux locaux des déchets.

Géométrie subtile de la base de la tour Avant Seine, architecte J.-C. Bernard, 1975

À l’usage, les prévisions ont été contredites. D’abord parce que la dalle est presque entièrement coupée du reste de la ville, contrairement à ce qui a été fait dans le secteur Italie à la même période. La dalle aurait dû être prolongée vers la Seine en couvrant la large voie de circulation et la ligne du RER C, elle aurait ainsi offert un balcon sur la Seine très appréciable. Ce projet a reparu en 1989 mais sans suite.

Pour dégager le plus possible l’espace sur la dalle, la base des tours est en « taille de guêpe » : la partie sous dalle ainsi que les premiers niveaux sur dalle sont beaucoup plus étroits que les étages habités. Le porte-à-faux donne une sensation de légèreté. Les ascenseurs desservent les sous-sols (qui sont de fait en grande partie au-dessus du sol naturel) et beaucoup d’habitants accèdent à leur immeuble par le sous-sol. La dalle reste donc assez peu fréquentée, d’autant plus que les commerçants y sont très rares contrairement à ce qui était prévu. En 1990, la dernière tour, Cristal , est construite. C’est un des rares immeubles de bureaux de l’ensemble. Elle a été aménagée pour constituer une transition entre la dalle et le sol naturel.

Depuis les années 2000, d’importants travaux ont permis de moderniser la dalle et d’en améliorer les plantations et les espaces verts. Même Daniel Buren y a mis sa marque. Cela ne suffira pas à lui donner l’animation escomptée. Il n’en demeure pas moins que ce lieu singulier de l’urbanisme parisien du XXe siècle offre une « promenade architecturale », pour parler comme Le Corbusier, sans comparaison.

Une partie du Front de Seine est visible lors de la visite de Vaugirard et Grenelle.

Pour en savoir plus sur le Front de Seine

  • Le Compte-rendu de séance de la Commission du vieux Paris du 29 mars 2022 à propos de deux rénovations envisagées au Front de Seine.
  • Simon Texier, Architectures brutalisâtes Paris et ses environs, Parigramme, 2019, p. 108-109 (immeuble Le Village), et p. 158-159 (Tour Totem).
  • Le Front de Seine Paris XVe, publié par la SEMAE XV, éd. Hervas, 1994. Sur la genèse du projet et son fonctionnement, ainsi que sur l’organisation administrative, juridique et politique.
  • Henri Bresler et Isabelle Genyk, Le Front de Seine, histoire prospective, éd. SEMEA XV, 2004.
  • Raymond Lopez et Henry Pottier, « Front de Seine, une rénovation urbaine », Urbanisme, n° 81, 1963, p. 24-37.
  • Raymond Lopez (entretien), « Paris XVe Front de Seine », L’Architecture d’aujourd’hui, n° 118, décembre 1964, p. 23.

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